Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LES LIAISONS DANGEREUSES DE L'ORDRE ET DU DESORDRE

Depuis toujours, l'homme s'acharne à trouver des réponses aux questions que pose l'univers qui l'entoure.


Jusqu'aux Grecs, et surtout jusqu’à notre siècle des lumière, les explications du monde relevaient plus souvent d’une harmonie impressionniste que d’un soucis d’élucidation objective du réel. Pas de place pour le désordre. La logique du savoir reposait sur le mythe et la magie. Cette attitude, qui certes n’a pas disparu de nos mentalités, règne encore sur les derniers îlots de tradition animiste. 

Les découvertes scientifiques ont émaillé l’histoire des hommes et ont nourri leur déterminisme jusqu’à le rendre absolu. La raison semblait alors triompher partout et les savants, pensait-on, allaient bientôt prendre la place que les représentants de toutes les spiritualités avaient occupée jusqu'alors.

De nombreuses critiques se sont élevées contre cette hégémonie intellectuelle. Les critiques de la Raison ont raison de prétendre que d’autres points de vu ont leur place et que notre pensée industrielle a un fier culot de les écraser sans merci. Ces autres logiques, en effet, fonctionnent assez bien dans le périmètre de leur croyance et d’une ambition technologique à profil bas. Seulement voilà, pour le meilleur et pour le pire, la raison occidentale est devenue universelle. 


Progrès ? Pas sur. Cependant, l’accumulation des résultats obtenus par nos sciences fondées sur une notion « objective » de la causalité rejette la concurrence de l’imprévu et du désordre. Victoires et défaites, notre science n’en finit pas de se chercher au risque de se perdre. Un vertigineux feuilleton dont je vous propose un résumé des épisodes précédents.

 



Les Grecs et l'harmonie des sphères

Les Grecs anciens se figurent déjà que derrière le visible compliqué se cache l’invisible simple. Cependant, ils n’arrivent pas à relier les causes et les effets et évoquent à tout bout de champ les quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu.

Un jour au VIe siècle avant J.C, Pythagore - qui voit des chiffres partout - découvre l’existence d’un rapport entre la longueur des cordes d’une lyre et les accords fondamentaux de la musique. Il grimpe au septième ciel : Dieu est bien un ingénieur et la loi mathématique gouverne le monde.

 

Bien sûr le système n’est pas rodé. Heureusement, les géomètres débarquent pour mettre fin au désordre. A coup de points et de lignes, ils dessinent le cosmos. Tout rentre dans l’ordre qui en grec se dit justement « cosmos ». Même les astres, en décrivant des cercles, sifflotent leur refrain accordé à l’harmonie des sphères.

 

Un siècle plus tard, Démocrite est moins catégorique : tout arrive par hasard et par nécessité ». Aristote coupe la poire en deux : le ciel est régi par la nécessité, tandis que le monde sublunaire relève du hasard. Là-haut, pas d’imprévu, on peut rouler tranquille, ici bas, en revanche, les accidents sont la règle et il faut s’attendre à tout.

 

 
Galilée et le mouvement des astres !

 

Jusqu'au XVIIe siècle, la croyance résiste encore à la science. En 1543 Nicolas Copernic remet le Soleil à sa place au centre du système solaire, mais la manœuvre passe presque inaperçue.

 

Né à Pise en 1564, Galilée n’est pas homme à se contenter de demi-mesure. Des mouvements célestes et terrestres il extrait, à l’aide d’appareils appropriés, des nombres qu’il relie par des formules mathématiques. Les équations permettent enfin de connaître les intentions cachées du créateur. Le visage du monde devient déterministe.

 

A l’aide de pendules, de poids, de lunettes, Galilée met expérimentalement de l’ordre dans les choses. Pour décrire le parfait mouvement des astres, il fait fi de leurs aberrations. La terre tourne autour du Soleil cela vaut bien quelques petits sacrifices.


Newton et la gravité

 

Reprenant le flambeau Galiléen, Isaac Newton démontre en 1667 que les mêmes lois régissent la chute des pommes et le parcours des planètes. La gravitation universelle éclaire les desseins de Dieu.

 

Deux corps s’attirent d’autant plus fort que leur masse est grande et qu’ils sont plus près l’un de l’autre. Mais là encore, le réel se rebiffe : lorsque plusieurs corps se trouvent nez à nez, chacun y va de sa propre influence, et on ne s’y retrouve plus. Tant pis. Pour trouver le mouvement parfait de la Terre autour du Soleil, Isaac Newton escamote le pouvoir d’attraction des autres planètes. Pas question de faiblir sur la voie du déterminisme absolu.


Le siècle des lumières et tout s’éclaire

 

A la fin du XVIIIe siècle, le mouvement déterminisme se durcit. Les philosophes continuent à s’interroger sur la nature du réel, mais les savants armés de la méthode expérimentale et des mathématiques se sentent pousser des ailes.

 

On ne croit plus, on sait, on va savoir. L’univers est régi par des lois et toutes ces lois sont intelligibles, en principe sinon en fait. Le marquis Pierre-Simon de Laplace proclame superbement le règne de la relation entre les causes et les effets.


Le mariage de l'espace et du temps
 

Electricité, magnétisme, thermodynamique, bientôt la structure de la matière. L’avenir de la connaissance est radieux. Dans la frénésie déterministe, les physiciens, comme hier Galilée ou Newton, traitent commodément les rebelles complexités de la nature de « bruits de fond » ou « d’effets aléatoires ». Désormais, s’exclame en 1887 le chimiste Marcelin Berthelot, l’univers ne renferme plus de mystère.

 

Berthelot ignore que la lumière refuse de se plier aux règles de la mécanique classique. Comme le nageur gagne de la vitesse en descendant la rivière, elle devrait, sur un trajet parallèle à l’équateur, profiter du mouvement de notre planète pour aller  encore plus vite. Or, d’où qu’elle vienne, sa vitesse est constante, environ 300 000 km/s. Albert Einstein lève le lièvre : les rayons lumineux, pour garder la même vitesse, « obligent » le temps et l’espace à se rétrécir ou à s’allonger comme un vieux chewing-gum.

 

La théorie de la relativité restreinte, en 1905, fait l’effet d’une bombe. Voilà que le temps n’est plus le même pour tout le monde, il peut paraître plus ou moins long suivant la position de l’observateur. Le couple espace-temps devient inséparable.

 

Sur sa lancée, le grand Albert publie sa théorie de la relativité générale. La matière cahotée au gré des creux et des bosses de l’Univers glisse dessus comme sur un toboggan. Les lois de la mécanique newtonienne explosent.

 

Révision déchirante ? Pas encore. Einstein reste plus déterministe que Newton et Laplace réunis. Refusant un univers en mouvement, il ajouta une constante à ces équations afin de le rendre statique et conforme à ses croyances. Galilée, Einstein même combat. Pour eux, les équations de la physique prédisent l’avenir avec une précision absolue.

 

La révolution des quanta : caprices d’atomes

 

La révolution de la physique ne vient pas d’en haut mais d’en bas, de l’infiniment petit.

 

En 1923, Louis de Broglie découvre la nature ambiguë, mi-onde mi-corpuscule, de l’électron. Sa dualité antagoniste empêche qu’on lui assigne une position donnée. Avec Heisenberg et son « principe d’incertitude », le clou est enfoncé.

 

Cette fois, le dogme déterministe en prend un coup. Théoriquement, un petit pois peut subitement se retrouver à côté de votre assiette sans que personne lui ait donné la moindre pichenette. Plus grave, la Terre a une probabilité « non nulle » de passer au travers du Soleil.

 

Il reste, quand même quelques principes. La « règle d’exclusion » de Pauli interdit à deux particules de se trouver simultanément dans le même état. Heureusement, sinon toute la matière de l’Univers se concentrerait en un seul point d’une densité infinie ! Mais pour prévoir le destin d’une particule, donc pour anticiper les effets des causes, on ne dispose, au mieux, que de données statistiques : probabilité qu’elle se désintègre dans les dix ans, qu’elle fasse d’ici là des rencontres, qu’à tel instant elle se trouve à tel endroit…

 

Les quantum, avec leurs flux discontinus d’énergie, insultent le vieux rationalisme. "Oui, dit Einstein en 1926, la théorie nous apporte beaucoup de choses, mais elle nous rapproche à peine secrets du Vieux. De toute façon, je suis convaincu que lui, au moins, ne joue pas aux dés". Niels Born lui répond par retour de courrier : "Albert, cessez de dire à Dieu comment il doit se comporter".



La révolution du chaos : un papillon à Pékin
 

Bon, après tout, la mécanique quantique n’affecte que l’Univers invisible de l’infiniment petit. Dans notre monde de tous les jours le ticket quantique n’est plus valable. Les savants classiques préfèrent donc ne pas se poser trop de questions. Tant que le déterminisme est sauf …

 

Cependant, en quête de lois générales, la science s’éloigne peu à peu de notre échelle humaine, perd le contact avec la nature et méprise les phénomènes ordinaires. En 1963, le météorologue Edward Lorentz tire la sonnette d’alarme.

 

Lorentz, sur son ordinateur, comprend pourquoi on ne peut prédire le temps qu’il fera dans dix jours : de toutes petites causes peuvent produire de grands effets. Un papillon voletant au dessus de la Cité impériale de Pékin va, ou ne va pas, déclencher des mois plus tard une tempête à la Jamaïque. Il y a du chaos dans l’air, ou de l’air dans le chaos.

 

Le papillon de Lorentz, avec son cyclone, balaie sur son passage tous nos édifices théoriques. Faut-il un grand nombre de paramètres pour que le désordre règne ? Même pas. Dans les systèmes simples, une minuscule bifurcation au départ suffit à ficher la pagaille à l’arrivée. Or l’incertitude est inhérente à nos méthodes de mesure. Les nombres eux-mêmes contiennent une infinité de décimales qui ne peut être traitée par nos plus gros ordinateurs. Les calculs sont donc tronqués, irrationnels. La prévision à long terme y perd sa valeur.

 

L’astrophysicien Hubert Reeves est un déçu du déterminisme. "Le tord de Laplace, nous dit-il, était de penser que les équations pouvaient prédire le futur à l’infini. En y regardant de plus près on s’aperçoit qu’elles butent sur un horizon au-delà duquel elles ne prédisent plus rien".

 

Vers une révolution de la raison

 

Alors, la Raison, une belle utopie à jeter avec le bain du déterminisme ? Peut-être pas. L’histoire nous montre que l’humanité a accumulé des savoirs immenses. Cependant, la connaissance de l’univers nous échappe telle une sphère sans fin dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

 

Face à un tel constat, nous ne pouvons que faire preuve d’humilité face au savoir absolu et abandonner l’idée de vouloir tout maîtriser. Mais rappelons nous que, depuis notre plus jeune âge, nous baignons dans une culture déterministe dont l’histoire vient de vous être contée. Vouloir y échapper est vain mais s’en détacher nous permettra de mieux appréhender la complexité du monde qui nous entoure.

 

 

                   A Suivre …

 

                                   Jusqu’à la prochaine révolution …

 

Tag(s) : #Sciences
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :